La perception tactile des sensations et de leur infinie variété laisse l’observateur sans voix. Tout semble partir dans tous les sens lorsqu’on essaie de nommer une sensation tactile. Ce passage du livre que j’avais lu en 1983 « L’ostéopathie exactement » (Issartel & Issartel 2005 p. 191) résume parfaitement le problème :
« […] ça bat, ça chauffe, ça picote, ça fourmille, ça s’effondre, ça glisse, ça vient de l’autre ou ça vient de moi, circulations mêlées, mouvements induits, autosuggestion, repères inexistants, rien n’est sûr, je suis perdue, submergée et complètement découragée. »
Je développe dans mon livre « Le Corps accordé » comment j’en suis venue, au fil de trois décennies, à distinguer les sensations perçues dans la main (ça chauffe, ça picote, ça fourmille…) de celles sous la main (ça bat, ça chauffe…). Puis à nommer les impressions sensorielles d’accompagnement (ça s’effondre, ça glisse…). La pratique demande de savoir situer la perception (ça vient de l’autre ou de moi ?) et l’interaction que l’on peut avoir avec cette perception (mouvements induits ? autosuggestion ? non-faire ?). Le tout avec ce questionnement indispensable au praticien à main nue : quels sont les repères ?
Par un long travail d’observation, j’en suis venue à concevoir que les sensations corporelles se déclinaient selon trois paramètres : température, consistance et mouvement. Il m’a fallu quelques années de plus pour plonger dans la « durée » chère à Bergson, le premier à mettre le nez des scientifiques comme des philosophes dans cette réalité infiniment mouvante de la perception sensorielle.
Percevoir cette mouvance avec les mains demande de ne pas avoir d’intention pour elle. L’espace et le temps deviennent alors aussi élastiques et mouvants que les sensations perçues. Mais l’unité se crée : la succession d’états et d’événements fait place à un « magma » en évolution. La sensation interne devient « une » : chacun de ses paramètres varie et influence plus ou moins les autres.
Ainsi, contrairement à ce que j’ai longtemps cru, il n’y a pas par exemple, ici ou là un chaud interne, une crampe ou un picotement… Mais un chaud crampé et picotant, une crampe chaude et picotante, ou encore un picotement chaud et crampé, selon que la sensation dominante est le chaud, la crampe ou le picotement. Le tout naturellement avec des variations infinies d’intensité à chaque instant.
En quoi ces paramètres sont-ils importants pour le praticien à main nue, comme d’ailleurs pour le danseur, le gymnaste etc. ?
Parce que lorsque les paramètres sortent de leur « normalité », celle que l’on pressent à un instant T, ils indiquent au praticien un travail spécifique de l’organisme qu'il peut accompagner. La personne retrouve un équilibre où la température est douce, la consistance élastique et le mouvement dynamique et paisible…
Andréine Bel
PS : Tout cela, nous l’expérimenterons lors du stage du 5-6 mai 2018 : https://www.yukido.fr/evenement/stage-de-yukido-mai
Ref : Issartel, Lionnelle ; Issartel, Marielle (2005). L’ostéopathie exactement. Paris : Robert Laffont (première publication 1983).