hiru tomosu
hodo no kurasa ni
haru no rai
Comme en plein jour
dans l’obscurité la plus noire
le tonnerre de printemps
L’intime est au cœur de l’obscur, invisible à l’œil extérieur.
L’intérieur du corps est pourtant coloré. Bleu, vert, rouge, rose, jaune et blanc se côtoient, délicatement, comme un ciel dont on découvrirait qu’il n’est pas d’un seul ton.
Au cœur de l’obscur, la main perçoit les sensations internes, une nature qui, pour montrer un bout d’elle-même, demande des garanties. La main doit se mettre à l’affût :
Se tenir immobile, se dissimuler dans la nature, attendre, convoquer sa patience et son émerveillement, laisser le temps passer, cesser de demander au défilement des kilomètres de vous apporter leur imprévu. Regarder le monde non plus avec l’œil d’un voyageur avide de multiplier les expériences, les sensations intenses et les vues spectaculaires, mais avec un œil de grande sensibilité quand il laisse doucement les nuances du monde s’opérer sur un plan fixe. C’est ça l’affût, c’est un art, et une expérience d’existence. En gros l’affût vous demande d’être patient, d’être émerveillé, et d’être très attentif. […]
L’affût est le contraire de la boulimie et de la voracité puisque c’est une mise à disposition de soi à l’égard de ce qui peut se passer dans le monde. D’autant que ça serait une illusion de croire que rien ne se passe. Car il se passe toujours quelque chose. Mais ce sont des choses nuancées. L’affût vous ramène à la nuance, l’appréciation de la nuance. C’est quoi ? Du presque rien, de l’indicible, du chatoyant, du minuscule, du scintillement, tout ce qui n’est pas spectaculaire.
Sylvain Tesson, pour le film « La panthère des neiges » (1)
Je ne pourrais faire de meilleure description de l’attitude de la main en présence de l’immobilité, de l’engourdissement ou de l’atonie, où rien ne se passe en apparence, mais où mille nuances vous invitent à la patience sans attente… à l’« ardente patience » de Morizot (2).
Parmi ces nuances d’immobilité, d’engourdissement ou d’atonie, vient peut-être, vient toujours, à un moment choisi par le corps, une autre sensation. Oh, un presque rien, une tension toute lâche, quelques picotements dispersés, une légère vague de chaud, ou de froid. Et alors « ça » se rassemble, prend des forces, monte du profond du corps, s’affermit. La tension devient crampe, les picotements se mettent à fourmiller, ou grésiller, le chaud devient incandescent, le froid donne l’onglée, c’est le feu d’artifice des extrêmes. Le corps rugit du fond de sa nature indomptée, comme cette toute première bactérie il y a quatre milliards d’années, comme la panthère des neiges sous les yeux de Tesson et de Munier, comme Akiko Noguchi un jour de printemps si sombre que seule la foudre pouvait l’éclairer…
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(1) « La panthère des neiges » est un livre de Sylvain Tesson paru chez Gallimard (2019). C’est aussi un film français, adapté de ce livre, réalisé en 2021 par Marie Amiguet et Vincent Munier.
(2) « Sur la piste animale », de Baptiste Morizot, publié en 2018 chez Actes Sud.