Il faut être connaisseur pour apprécier d’une seule gorgée le thé nouveau, d’un seul regard le geste nouveau, d’un seul contact le toucher nouveau. Et pourtant aucun doute : cette gorgée, ce geste, ce toucher pénètrent en soi comme un couteau dans du beurre. Rien n’accroche, le monde se fraie en nous un chemin quand il a la nouveauté du regard d’un nouveau-né.
Le premier toucher, celui de l’adulte comme celui du nouveau-né, n’est pas malhabile : il est simple et direct. Il n’est pas hésitant, il ne cherche rien. Il est aussi incisif que la trace du pinceau d’un maître d’antan, et c’est de l’instant qu’il s’agit.
De près ou de loin, on le reconnaît au silence qu’il émane, comme une fleur son parfum. À la vie qui s’anime à son contact, comme ces oiseaux à la pointe du jour, s’ébrouant dans l’eau d’une fontaine.
Ce toucher a la saveur d’un souvenir lointain un soir de lune voilée.
On ne saurait dire d’où il vient : peut-être des entrailles de la terre, entre deux failles, lave rougeoyante en éclaboussures grotesques. Mais peut-être bondit-il au sommet de la canopée, comme l’alizé ondoyant sous le rire des macaques.
Le premier toucher amène à respirer comme ce coureur cycliste en pleine montée quand il contracte des crampes. Arrivé au sommet, c’est une grande bouffée d’air frais, avant de pouvoir poursuivre en roue libre.
La main se crispe, contracte ou contracture, et ce n’est pas la même chose : le vécu est différent.
Qu’elle perçoive l’engourdissement, la main plonge en semi-hibernation, sans attente mais prête au printemps naissant, avec son désengourdissement.
Face à l’agitation des fourmillements, grésillements, picotements, le toucher devient muet pour laisser parler… ça finit par se calmer. Ou bien le trop plein s’évacue, c’est l’aspiration du plein.
Face au vide, la main se laisse tomber, touche le fond et reste immobile, sans impatience. Puis elle sent une force venir de profond la soulever. C’est la pression du vide puis son retour.
Il lui faut sentir la pression pour appuyer ou compresser, la tension pour pousser, ou tirer. L’encombrement l’amène à tapoter ou vibrer, la raideur vibrante à ballotter, la stagnation impatiente à balancer comme l’enfant sur la balancelle. Elle répond ainsi au besoin sensible.
Mais parfois, avant tout cela, la main commence par devoir répondre au besoin d’immobilité : l’organisme a été bousculé, il lui intime l’ordre de suspendre son geste, le temps qu’il faut. Ou alors elle rebondit comme sur un coussin protecteur. Aussi reste-t-elle en lisière, jusqu’à ce qu’il diminue au point de lui laisser toucher la peau.
Peu importe, en contact direct ou à petite distance, c’est le toucher de la sensation qui œuvre, entre sensation interne (celle de la main) et sensation interne (celle du corps accompagné).
Alors vient le réveil des grands jours, l’étirement du matin vibre comme la corde frôlée par l'archer. C’est le renouveau du printemps lui-même, sa tendre saveur…
Accompagner : En yukidō, la relation de soin se situe entre un accompagnant et un accompagné, elle consiste à « aller avec » de façon active mais non interventionniste. Par extension, accompagnement.
Aspiration du (trop) plein : impression sensorielle d'accompagnement. La main à l’impression d’entraîner avec elle le trop plein : les chauds ou froids, tensions, crampes, fourmillements, grésillements etc. Elle les achemine hors du corps en s'éloignant de lui.
Aspiration du (trop) vide : impression sensorielle d'accompagnement. La main a l’impression d’être « aspirée » et immobilisée comme par une ventouse, par la partie du corps en contact avec elle.
Besoin d’immobilité : la main en contact reste immobile le temps nécessaire. Lorsque ce besoin prioritaire est comblé, les températures, consistances et mouvements sous-jacents peuvent alors se manifester pour exprimer leurs besoins sensibles et la main y répondre.
Besoin sensible : pendant l’accompagnement,indication par la sensation de ce quiest bénéfique, nécessaire et suffisant à l’organisme, en termes de température,consistance et mouvement.
Coussin d’air, d’huile ou d’eau : impressions sensorielles d’accompagnement où la main semble ne pas pouvoir s’approcher à plus de quelques millimètres ou centimètres du corps accompagné sans« rebondir » sur un coussin d’air (élastique), d’huile (glissant) ou d’eau (plus ferme).
Désengourdissement : sensation interne d’accompagnement du délitement d’un engourdissement.
Engourdissement : sensation interne d’accompagnement qui engourdit la main involontairement.
Fourmillements : sensation interne d’accompagnement qui se produit lors d’un désengourdissement, comme à la suite d’une anesthésie ou lorsque le sang circule après que l’on ait relâché un garrot.
« Sensation de picotement sous-cutané comparable à celui que provoqueraient des fourmis courant sur la peau, dû à un engourdissement ou à une compression de veines. » (TLFi)
Geste d’accompagnement : geste que la main accomplit pour répondre aux besoins exprimés directement par la sensation interne et les impressions sensorielles d’accompagnement.
Grésillements : sensation interne d’accompagnement, qui rappelle ce que la langue éprouve quand elle contacte les deux pôles d’une pile.
Impression sensorielle d’accompagnement : une fois contactée par le toucher de la sensation, la sensation interne chemine selon les fluctuations et déformations d’un « Corps d’intensités » (le Corps sans organes) qui la font ressembler à une aberration sensorielle : impression que la main s’enfonce, tombe, gonfle, devient immense, se dissout etc.
Picotements : sensation interne d’accompagnement. Ils sont plus ou moins serrés, longs et douloureux.
Pression : sensation interne d’accompagnement exprimant un besoin de pression adéquate.
Premier toucher, ou proto-toucher : dans la lignée du proto-regard de Jean-Marie-Delassus (note 1). Comme le premier regard que le nouveau-né porte à sa mère et/ou à la personne près de lui, le proto-toucher bouleverse durablement la perception que l’on a des sensations internes, les nôtres et celles en relation avec autrui.
Rebond : geste d’accompagnement qui répond au besoin exprimé par un coussin d’air, ou d’un dégagement. La main rebondit à l’appui.
Retour : partie du geste d’accompagnement qui suit un aller, très exactement sur le même trajet, en général plus lentement (mais pas toujours). La main attend le signal donné par le corps, qui impulse le retour d’une pression, d’une spirale etc.
Sensation interne : « Sensation que le sujet rapporte à son corps, à une partie de son organisme. » https://www.cnrtl.fr/definition/sensation
Sensation interne d’accompagnement : lors du toucher de la sensation, la main perçoit sa propre sensation interne, qui fait écho ou miroir à celle de la partie accompagnée.
Tension : sensation interne d’accompagnement exprimant un besoin de tension adéquate.
Toucher de la sensation interne : en yukidō, expression qui désigne le contact entre deux sensations internes, celle de la main avec celle de la partie accompagnée.