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Les savoirs

November 2020
師も弟子も みな若かりし 暖炉の夜
shi mo deshi mo
mina wakakarishi
danro no yoru
Maître et disciples –
tous si plein de jeunesse
le soir auprès du feu

Akiko Noguchi

Le savoir réchauffe, comme le feu autour duquel on se rassemble. Il est le commencement de quelque chose, nourrit sans rassasier, pose des questions.

Le savoir, c’est l’intelligence mise en œuvre pour sortir de la sclérose, la mise en commun de ce qui compte et la confrontation qui décille les yeux.

Fruit des générations passées, il perd des plumes au présent : c’est pour mieux s'étoffer.

Devant lui, ni maître ni disciple, mais un apprenant.

L’expérience le saisit comme l’innocence : ne plus savoir, vider la cruche pour qu’elle puisse se remplir de fraîcheur.

Vider la cruche mais non l’esprit : il faut un réceptacle vivant, foisonnant, curieux. Il faut au savoir des mains et des pieds pour avancer, un ventre et une tête pour être pris à bras le corps, une bouche pour mastiquer, un estomac pour digérer, et un intestin pour prendre l’essentiel et évacuer le rebut. Rebut retournant à la terre, laissée en friche un temps, puis un jour retournée, sens dessus dessous.

Le yukidō est né du savoir savant, discursif du seitai, et du savoir sauvage, intuitif du reboutage.

Le seitai est articulé depuis les années 1930. Le reboutage est silencieux depuis le Moyen-Âge. Les deux puisent leurs racines dans les temps immémoriaux.

Il est temps que savoir savant et savoir sauvage découvrent leur petit frère, qui pourtant les précède : le savoir domestique. Sans lui, comment prendre soin de soi et de ses proches au quotidien ?

Médecins et sorciers(1) se sont opposés depuis de siècles – se renforçant mutuellement. Mais le simple quidam est-il dépourvu de toute connaissance ?

Quand le maître (et époux) d’Akiko Noguchi battait la campagne japonaise dévastée au sortir de la guerre, il n’y avait plus ni médecins ni sorciers pour venir en aide aux habitants. Haruchika Noguchi (2) ne pouvait leur enseigner la technique savante seitai : les blessés se sont « pris en main » et ont découvert, à partir de leur organisme lui-même, des ressources insoupçonnées.

Quand Étienne Chambonnet (3) recevait chez lui, il n'était ni médecin ni sorcier. Ses mains agissaient « d’elles-mêmes » pour remettre bout à bout ce qui était démis, et le corps rebouté faisait le reste : il « se » guérissait.

Faut-il renoncer au savoir pour autant ? Noguchi comme Chambonnet avaient des connaissances, à la fois savantes ou sauvages. Mais devant la créativité du vivant – ce savoir toujours en « advenir » – le mieux n’est-il pas de l’écouter, et ainsi réchauffer nos connaissances, un soir auprès du feu ?

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1) Nathan,Tobie ; Stengers, Isabelle (2012). Médecins et sorciers. Paris : La Découverte.

2) Haruchika Noguchi (1911-1976), fondateur du seitai.

3) Étienne Chambonnet (1900-1984), de Polignac près du Puy-en-Velay, est le rebouteux qui m’a initiée au reboutage en 1979.

  

Glossaire du yukido

Reboutage : remettre bout à bout ce qui a été démis. Le reboutage n'est pas limité aux articulations mais s’adresse à tout ce qui concerne la structure organique, pour favoriser sa fonction.

Savoir sauvage : terme employé ici dans son sens anthropologique, regroupant un acquis intuitif et un savoir empirique qui se dit dicté par les lois de la nature et/ou du monde invisible.

Savoir savant : savoir discursif basé sur une théorie, pratique et technique enseignées de manière didactique, difficiles d’accès et réservées aux érudits.

Savoir domestique : savoir et savoir-faire non didactiques, élaborés par l’expérience, de manière empirique à partir des sensations internes et de l’involontaire. L’auteure situe le savoir domestique entre le savoir sauvage et le savoir savant.

Seitai : 整体 corps accordé, réajusté.
整 (sei) organiser, régler, arranger – 体 (tai) le corps.
Itsuo Tsuda disait aussi que dans seitai on entend :
勢 (seit) posture – 合 (ai) harmonie : l’harmonie de la posture.
Le seitai est à la fois un art de vivre, une philosophie et un art du soin qui vise l'autonomie, la liberté et la créativité.

Toucheur : terme désignant un rebouteux, pour le distinguer du magnétiseur dont les mains restent à distance du corps pendant toute la durée du soin.

Yukidō : 愉気道 la voie du ki joyeux. Art du soin domestique issu du Noguchi seitai et du reboutage. Élaboré depuis 1995 par Andréine Bel et les ateliers d’auto-apprentissage coopératif, il est transmis depuis 2018 dans le cadre des ateliers de la « manufacture », au Thoronet dans le Var.