Dans les pays chauds, le début de la saison des pluies est synonyme de fertilité, une promesse de fraîcheur.
Évaluation du senti, le ressenti dit beaucoup. Si telle sensation nous est déplaisante comme la voix du corbeau, ou agréable comme le chant de la première pluie, c’est en partie parce que nous avons appris à détester l’une et adorer l’autre. Le contexte, les souvenirs et nos croyances forment comme un écrin à notre vécu, lui donnant les mille teintes d’un arc-en-ciel, avec les harmonies, assonances ou dissonances que cela suppose.
En partie seulement. Car le senti est là : avant d’être jaugé, il nous dit ce qu’il en est pour nous — ça va ou ça ne va pas.
Avant de tomber d’1m 70 de haut, ma tête n’a pas eu le temps de se dire quoi que ce soit lorsque j’ai buté sur un crochet de bâche de piscine. Pourtant, mon nez arrivé sur la dalle en béton malgré mes bras pour amortir le choc, et le premier petit temps de surprise passé, je savais qu’il n’y avait rien de grave. J’avais fait un « scanner sensoriel » immédiat et précis de la situation de mon corps en entier : des contusions, quelques petites égratignures, mais rien de cassé.
Je suis allée m’allonger dans mon fauteuil, pour un repos d’où je pouvais contempler la réalité de mon senti : rien de grave, mais j’étais secouée, au sens propre. Gamine, je me serais relevée sans plus d’histoire : forcément, la distance tête - sol est moins grande. Mais là, je sentais bien qu’il me fallait rester tranquille et laisser les choses en moi reprendre leur place.
Un jour et demi ont été nécessaires pour que ma vie quotidienne puisse reprendre son cours normal. La vivacité des gestes a mis tout ce temps à revenir.
Le surlendemain, une amie vient me voir : neuf mois plus tôt, elle avait eu un accident de voiture lui causant un coup du lapin. La radio avait signalé un léger tassement discal sur trois cervicales. Au bureau où elle travaillait à l’époque, pas question de prendre un congé pour si peu. Elle était donc allée voir un thérapeute qui lui avait fait passer toute douleur en une seule séance. Pendant trois jours, tout est bien allé, elle a travaillé comme à l’habitude. Mais à partir du quatrième jour, elle s’est sentie terrassée de fatigue, nauséeuse, la tête douloureuse, les muscles amorphes et le cou en grande fragilité. Les absences au travail se sont faites nombreuses pendant quelques temps sans que cela ne change rien. Elle garde une douleur au cou et aux épaules. Pour résumer, elle me dit : « Ça ne va pas ».
Mes mains, par le toucher de la sensation interne, ont tout de suite senti la bousculade encore présente : au niveau du crâne, les flux de température, consistance et mouvement internes sont immobiles, comme suspendus par moments. Un froid piquant devenant un chaud intense, puis des crampes engourdies et piquantes ont alterné au gré de trois séances rapprochées de quelques jours et à différents endroits de la tête, du cou et du dos. Les flux se sont exprimés de nouveau en liberté, indiquant directement et à chaque instant aux mains ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. Le chaud interne au niveau du haut du corps s’est peu à peu rétabli. Les hanches, les épaules et le cou se sont détendus et le cours normal de la vie a pu reprendre.
Ma lecture du phénomène : deux ou trois jours de repos complet juste après l’accident auraient évité cette fragilisation qui pouvait encore durer des mois voire des années. En crispant la nuque et les épaules sous l’impact d’un choc, en raidissant les hanches, le corps « sait ce qu’il fait », il faut lui donner du temps et un confort à sa mesure. Il protège toute la zone affectée et permet au cerveau de « digérer » à son rythme l’impact de la secousse qu’il a subie.
« On ne fait pas pousser le riz en tirant dessus », aurait dit la japonaise qu’était Akiko. Même la réponse déplaisante du corps après un choc peut être promesse de fraîcheur et de bien-être…
Flux interne : en yukidō, forces qui mobilisent les températures, consistances et mouvements internes au corps. Les flux internes se distinguent des fluides corporels en cela qu’ils les animent et modulent.
Fraîcheur : sensation interne très particulière au corps en bonne santé, rappelant la température d’une brise légère, avec une souplesse où rien n’accroche et un mouvement régulier qui s’exprime en liberté. Le tout donne une impression d’équilibre qui s’ajuste facilement. C’est aussi la sensation interne des mains qui « accompagnent » les efforts de l’organisme, quand il a travaillé à sa juste mesure et qu’un certain réajustement s’est réalisé, localement ou globalement.
Sensation interne : se dit d’une sensation venant de l’intérieur du corps : inflammation, crampe, fourmillements…
Senti versus ressenti : le senti correspond à la perception des cinq sens, mais aussi à celle du sens vestibulaire de l’oreille interne (pour le positionnement dans l’espace), des nocicepteurs (pour la douleur), des thermorécepteurs (pour la température) et de son propre niveau de tension musculaire ou de son tonus (pour le mouvement). Le ressenti, lui, donne une appréciation et une interprétation du senti : agréable ou désagréable, bon ou mauvais, exacerbant ou lénifiant, structurant ou déstructurant…
Toucher de la sensation interne : le contact a lieu entre deux sensations internes, celle de la main et celle de la partie accompagnée. La main peut percevoir la température, la consistance et le mouvement des flux qui animent les organes et fluides corporels. Ce toucher a une influence sur les sensations internes et externes.