Pour voir l’accumulation, en premier se pencher sur elle. Observer ce phénomène : quand un écoulement ou une transformation ne suivent pas leur cours régulièrement, ils sont « retenus ».
Il y a des corps pleins de larmes, la moindre goutte ajoutée et ça déborde, en flux ininterrompus mais salvateurs, pourvu que l’on ouvre grand le passage pour cette délivrance.
Parfois, c’est l’obstruction : le flux naturel de la vie est empêché, l’intervention est nécessaire. On débouche les artères, enlève les freins à la créativité et la vie reprend son cours.
Mais le plus souvent, l’accumulation est patiente, élaborée, et pourvu qu’on l’accompagne, trouve son chemin et son moment pour porter ses fruits.
L’accompagnement du flux régulier des sensations internes serait incongru : elles s’écoulent comme de l’eau fraîche, douce et paisible et n’ont besoin d’aucune aide.
Quelque chose doit« accrocher » à la main pour que l’accompagnement soit demandé par le corps. Un excès de chaud ou de froid, de tension ou de détente, de mouvement ou d’immobilité internes ? Le flux régulier est empêché pour une raison ou une autre, comme adaptation à trop de ceci ou de cela. À la main de percevoir l’accumulation, et d’aller dans le sens montré par l’organisme. Elle se fait chaude ou froide, tendue ou détendue,mouvante ou immobile selon la sensation interne qu’elle reflète et le besoin sensible que cette sensation indique.
Le besoin immédiat pour un organisme ayant accumulé des tensions est d’être tendu. Jamais détente volontaire n’a pu régler durablement une tension profonde involontaire. La main accompagnante ne cherche pas à détendre quoi que ce soit. Elle se tend et tire ou contracte les tissus, les fascias, les muscles. N’est-ce pas ce que fait le sport avec ses contractions, étirements, tensions actives et tensions passives, si bénéfiques ?
Le besoin immédiat pour un organisme oppressé est d’être pressé. La seule chose qui apaisait Temple Grandin était un appareil qu’elle avait fabriqué elle-même : la « machine à presser », un ingénieux système qui permet à la personne de contrôler le temps et la force de pression autour de ses épaules, buste et hanches (1).
Souvent tension et pression se donnent la main, l’une amenant ou permettant l’autre. Pour pouvoir presser, il faut tendre dans une certaine mesure, et pour tendre il faut presser.
Aller dans le sens de l’accumulation pour que le corps puisse parfaire son travail ? La main perçoit une pression, et déjà cette pression lui indique le sens, le poids et la durée de la pression à donner. Quand il s’agit d’une tension, la main se met à tirer, pousser, étirer, distendre etc. au bon moment, à la bonne intensité et à la juste distance.
C’est alors que le« miracle » se produit. Un flocon de neige en plus – ou une seconde plus tard – et l’amas neigeux se met en mouvement, tombe et nourrit la terre de l’eau qu’il recèle. Une pression ou une tension en plus, et les vannes s’ouvrent : l’organisme est comblé dans ses besoins sensibles, ils diminuent jusqu’à ne plus avoir à se manifester. Au moins un temps, car la neige retombera, retombera, retombera...
(1) Ma vie d'autiste, Paris, Odile Jacob, 1994.
https://autismeenfance.blogspot.com/2013/07/machine-calin-une-etreinte-qui-peut.html
Glossaire
Accompagner : en yukidō, la relation de soin se situe entre un accompagnant et un accompagné, elle consiste à « aller avec » ce qui est contacté, selon les besoins exprimés directement par l’organisme, de façon active mais non interventionniste.
Besoin sensible : expression utilisée en yukidō pour caractériser un besoin exprimé par la sensation, auquel on se doit de répondre de la manière la plus appropriée pour maintenir une santé physique, mentale et émotionnelle.
Excès ou déficits : appréciation subjective d’une sensation interne d’accompagnement qui situe une température, une consistance ou un mouvement internes par rapport à une normalité elle aussi subjective.
Flux interne : terme utilisé en yukidō pour signifier ce qui mobilise les températures, consistances et mouvements internes au corps. Les flux internes se distinguent des fluides corporels en cela qu’ils les animent et modulent. Cette notion rejoint celle des « flux d’intensité » du Corps sans organes.
Pression : sensation interne d’accompagnement et geste d’accompagnement répondant à un besoin de pression ou de compression adéquate.
Une pression exercée par la main se déroule en trois actes : l’aller, la pause, le retour.
Sensation interne : « Sensation que le sujet rapporte à son corps, à une partie de son organisme. » (TLFi)
Tension : sensation interne d’accompagnement et geste d’accompagnement répondant à un besoin de mise en tension adéquate ou d’étirement.