Les fondateurs du seitai au Japon ont étudié l’effet thérapeutique des
mouvements induits par le système moteur extrapyramidal. Réaliser le
potentiel de « l’involontaire » sera pour le lecteur une source inépuisable
de réflexion et d’émancipation, qui permettra une approche sensible du
reboutage.
La pratique du yukido est illustrée par de nombreux
exemples de suivi d’affections chroniques bénignes qui d’ordinaire
résistent aux soins interventionnistes.
À une époque où le « corps augmenté » est en passe de devenir la norme de notre espèce, une
réhabilitation de l’involontaire signe le retour de l’humain face aux
rêves transhumanistes et post-humanistes qui essaient de le régimenter.
Cet
ouvrage s’adresse à tous, médecins, patients, thérapeutes, parents,
philosophes ou simples explorateurs de sentiers inconnus, sans oublier
les danseurs qui découvriront une nouvelle matière à créativité.
➡ Table des matières - Index - Glossaire
Seitai et reboutage sont présentés et mis en regard. Leur association forme la base de ma pratique, le yukido. La problématique du soin est abordée à partir de mes propres croyances et interprétations : comment définir les mots don, ki, sans esquiver les questionnements qu’ils suscitent ? Comment ma recherche a-t-elle évolué ? Quelle place accorder au « transfert de sensibilité », à l’imagination et la visualisation ? Peut-on définir une posture idéale pour l’accompagnant ? Pour l’accompagné ? Quels sont les liens entre posture, respiration et concentration ?
Santé et terrain : ces notions me permettent de décrire à la fois le travail du corps et celui d’une pensée domestique en lien avec la santé. Je définis les paramètres du toucher à partir de mes observations et hypothèses, conjointement à d’autres méthodes. Ce que j’appelle le toucher élargi des masseurs, kinésithérapeutes et ostéopathes, se décline dans ma pratique en toucher de la sensation et impressions sensorielles d’accompagnement. Les besoins sensibles utilisent pour se faire connaître la dynamique spontanée de l’organisme : agitation, balancements, repli sur soi etc. Leur manifestation percute souvent nos codes socioculturels. Le corps et l’esprit s’entraident. La santé « travaille » à notre bien-être, mais demande un peu de patience…
Les définitions médicales de l’adjectif « involontaire » vont de pair avec les peurs qu’il suscite au quotidien. L’involontaire substantif reste à inventer : cacherait-t-il une intention vitaliste ? Serait-il une forme d’intuition ? Cet involontaire a une voie connue : le système moteur extrapyramidal (involontaire) qui, avec le système végétatif (autonome), participe à la normalisation du terrain. Il a une voix à faire entendre : bâillements, éternuements, soupirs… mais aussi acouphènes, impatiences, tétanie bénigne, spasmophilie etc. Penser « l’involontaire » change le regard sur le handicap autant que sur la santé. Dans le seitai, trois pratiques sollicitent l’involontaire, chacune à sa manière : le katsugen undō semi-involontaire (mouvement régénérateur), la technique du seitai sōhō et la « non-technique » du katsugen sōhō. Cette dernière caractérise ce que j’appelle l’accompagnement domestique du yukidō. Avec en filigrane ces questions : l’accompagnement peut-il être nocif, et quelle est sa place face à des manifestations déroutantes ?
Pendant le « travail du corps », interroger le rapport à la douleur et à la souffrance invite à discerner leurs origines pour ne pas se tromper de cible. Comment faire la part des choses entre ce qui est douloureux mais positif et ce qui est nocif ? Comment « réagir aux réactions » de l’organisme ? Peut-on envisager une tolérance éclairée ? Les repères donnés par la douleur permettent-ils d’envisager sa pertinence lors d’un tour de reins, d’une tendinite etc. ? Comment tracer les limites de la douleur physiologique ? Le rapport au symptôme peut-il évoluer ? Sa réappropriation passe par les repères internes (sensibles) et externes (savoir médical) qui se complètent. Ils permettent de mutualiser les connaissances et de venir en soutien aux processus de régénération, sans exclure l’effet placebo.
Une approche du soin qui part de l’observation du travail du corps appelle une réflexion sur l’usage des mots. Qu’entendons-nous par inhabituel ? anormal ? involontaire ? complication ? cause ? déclencheur ? influence ? effet ? normal ? naturel ? prévention ? Quelle incidence le sens de ces mots, leur glissement sémantique ou leur appauvrissement, peut-elle avoir sur notre rapport quotidien au corps, au psychisme et aux interventions thérapeutiques qui leur sont destinées ? Dans le paysage médical d’aujourd’hui, où ce qui est bénin est traité comme une maladie potentiellement dangereuse, quelle place donner aux symptômes rééquilibrants et régénérateurs ? Le terme bonadie est proposé pour désigner ces « maladies bénignes » qui nous veulent du bien. Un tableau comparatif permet de les distinguer des pathologies, à partir de leurs caractéristiques les plus courantes. Les zones de recouvrement entre ces deux manifestations organiques révèlent les limites de l’accompagnement domestique.
La pensée domestique se construit prudemment, pas à pas, avec des matériaux et outils toujours revisités. Morin, Stengers, Nathan, Mauss, Levi-Strauss, de Certeau, Van Hollen, Bergson, Roustang, Merleau-Ponty, Nicolas, Fedi, Veldman, Solter, Van Der Meeren, Bainbridge Cohen nous accompagnent dans ce cheminement. La pensée domestique est mise en regard avec la pensée sauvage et la pensée savante. Elle invite l’involontaire à trouver sa place aux côtés de l’inconscient. Nous entrouvrons la porte du Corps sans organes grâce à Antonin Artaud, mais aussi Arsenie-Zamfir, Deleuze et Guattari, en écho avec Sombrun, de Rosny, Padoux, Spinoza. Cette quête de l’involontaire utilise comme clé la triple négation du « sans connaissance, sans technique et sans but ».
Construire ce savoir revient à jongler entre autonomie et dialogue avec les autres savoirs. Le « sens de la main » voit, fait, interprète, hésite, s’étonne. Ce sens a besoin de repères quand il s’exerce, se perd, se trompe. Le ki do ma façonne, les garde-fous exercent la vigilance. Apprentissage et auto-apprentissage restituent à ce savoir domestique une complexité nécessaire. L’approche coopérative et l’éducation de l’esprit de discernement sont au cœur de nos ateliers de recherche. L’auto-évaluation est mise en écho avec l’évaluation par l’accompagné. Enfin, la micropolitique des groupes est appelée à la rescousse face à l’entrechoc des sensibilités et histoires individuelles.
Nous abordons ici les engourdissements endogènes en nous interrogeant sur leurs origines, leurs facteurs et leurs causes. Leur accompagnement est décrit à travers l’exemple des acouphènes. Les processus de sensibilisation et les efforts autonomes du corps permettent de décrypter les phases ponctuelles de désengourdissement : sensibilisation/détente, hypersensibilité, puis évacuation. Leur répercussion est lisible dans la vie d’une personne.
Définir une tension, son rôle et ses caractéristiques nous permet de décrypter les besoins physiologiques qu’elle signale et d’y répondre. Pour donner une chance aux tensions persistantes de se résoudre, nous décrivons comment percevoir et faciliter le travail des tensions bénignes. C’est l’occasion de parler des taisō involontaires qui se manifestent parfois dans la pratique du katsugen undō (mouvement régénérateur) : les tensions adéquates répondent à des tensions inadéquates. Ceci nous conduit au besoin des tensions elles-mêmes. Contractions, contractures, crispations, crampes et stress en sont des formes proches ou associées. Le besoin de repos est lui aussi pris en compte. Problématiser les tensions et leur accompagnement pose la question d’un idéal de détente.
J’ai été amenée, au fil des ans, à distinguer dans ma pratique les pressions exercées selon leur type d’action (révélante ou apaisante) et ce qu’elles accompagnent (le plein ou le vide). Les pressions du plein se distinguent par leur orientation et leur étendue, large ou ciblée. Certaines sensations d’accompagnement, comme les glissés, l’enfoncement ou l’aspiration du plein, attirent particulièrement l’attention. Trouble et sidération sont pris pour exemples de pressions du plein. Les pressions du vide se manifestent par l’aspiration du vide, le creux, les lignes en creux, avant de parler de dépression. J’introduis une approche sensitive de la dépression, entre l’approche biologique (cognitive, systémique) et l’approche psychique (analytique). La sensation est réhabilitée comme outil de santé, avec pour conséquence de devoir mettre en question sa perception.
Le seitai domestique conduit à l’ accompagnement tel que le yukidō l’ envisage. L ’auto-accompagnement est à distinguer de l’automédicalisation. Il nous donne accès à une double sensation interne : celle de la main qui accompagne et celle du corps accompagné – le nôtre en l’ occurrence. Les apports au savoir domestique sont à portée de main : les éléments et les aliments, ainsi que les contraintes du quotidien qui modulent la gestuelle du corps. À besoin simple réponse simple : nous sommes dans le registre du bricolage tel que décrit par Levi-Strauss et de Certeau. Se pose alors la question de la frontière entre accompagnement et intervention. La lecture des températures voyageant dans le corps reste un mystère : migraine, foulure et bosse sont citées en exemples. Existe-t-il des panacées ? Les limites du pouvoir de l’argile, comme celles du seitai, méritent d’ être posées. Aux frontières de l’ involontaire, l’éveil des sensations et l’ éveil des muscles sont autant d’inspirations venues et à venir, avec le spontané pour nous guider. Dans toutes ces « approches du sensible », il s’agit de désapprendre – quoi et comment. Pierre de touche du yukidō, l’auto-accompagnement permet de situer celui-ci par rapport à une approche thérapeutique, grâce à une évaluation individuelle, immédiate et sensible de ce qu’il met en jeu.
Il s’ agit d’aborder le toucher par la totalité, c’est à dire par le don, c’ est à dire par les bébés, ou encore face à la fin de vie. Comment appréhender l’intolérance alimentaire, les tics et les Toc ? Puis reprendre tout depuis le commencement, c’ est à dire la naissance. Je mets en perspective une « culture de la santé » avec ce double mouvement du rapport au soi, la sensation, l’autonomie, et du rapport à l’ autre, son regard, son savoir. Dans cette dynamique, le savant, le sauvage et le domestique se donnent la main, l’involontaire trouve ses lettres de noblesse aux côtés de l’inconscient, et la bonadie redistribue les cartes face à ses deux partenaires : la sensation et la réflexion.
Tout arbre a des racines sans lesquelles il n’aurait pu se développer. Pour l’étudiant d’une discipline, connaître les sources du savoir qui lui a été transmis n’a rien d’évident. Professeurs et maîtres sont des créateurs en ce sens qu’ils réorganisent, expérimentent, trient et si possible améliorent les multiples enseignements reçus au cours de leur vie. À la différence des prophètes, aucun enseignant en matière de santé n’est inspiré au point d’avoir eu la révélation, et personne ne s’est formé seul. Mais les « transmetteurs » ne sont pas les mieux placés pour retracer les influences qu’ ils se sont appropriées en les recréant. C’ est à l’ élève, l’apprenti, de remonter le fil du temps.